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Lettre à Léo Bureau-Blouin

Mont-Royal, le 28 juillet 2012

Salut Léo!

Comme des milliers de québécois, j’ai fait ta connaissance au cours de ce printemps dont on risque de se souvenir encore longtemps. Et tout comme ces milliers de québécois, c’est avec une certaine surprise que j’ai appris que tu te lançais en politique, malgré ton jeune âge.

J’ai été surpris oui, mais pas tant que ça à bien y penser. Il faut dire que tu as quand même quelques attributs qui jouent en ta faveur. Ton sens de la répartie, ton esprit vif et ta manière de t’exprimer avec les médias en ont impressionné plusieurs, même si à mon avis tu flirtes un peu avec la langue de bois, ce novlangue qui rend la politique et le politique si méprisables et si peu attirants.

Certains te reprocheront d’être trop jeune ou trop inexpérimenté pour te lancer dans l’arène politique, mais en ce qui me concerne, je n’y vois aucun problème. Après tout, n’importe quel citoyen de la province âgé de 18 ans peut se présenter candidat à une élection selon la loi.

Au delà de ce que les lois veulent dire, je crois que si quelqu’un veut se présenter candidat à une élection, c’est qu’il aime assez sa patrie pour lui consacrer tout son temps, son talent et ses énergies pendant une certaine période de temps. Avoir le goût du pays et le désir de le servir ne sont pas des choses qui s’acquièrent sur les bancs d’école. C’est un peu comme un instinct : on l’a ou on ne l’a pas. Le service public est une tâche ingrate, mais nécessaire dans le fonctionnement normal d’une société démocratique comme la nôtre, et ceux qui décident de se lancer dans cette arène méritent respect, même s’ils ne partagent pas nos idées, même s’ils ne sont pas du même parti que nous.

Je t’avoue que j’aimerais un jour m’impliquer en politique. Je ne pense pas le faire à court terme, pour toutes sortes de raisons que je préfère garder pour moi. Cependant, le simple fait que tu décides de mettre tes études en suspens à ton jeune âge pour servir le Québec vaut toute mon admiration. D’autres l’ont fait avant toi, notamment André Boisclair, et ont connu une carrière politique tout de même fort respectable. Et ceux qui t’accolent l’étiquette de décrocheur oublient qu’au début des années 1940, un jeune gaspésien étudiant en droit à l’Université Laval arrêtait ses études pour devenir journaliste et politicien par la suite, un certain René Lévesque.

Mais Léo, je t’avoue qu’il y a quelque chose qui soulève un profond malaise chez moi concernant ta candidature, car j’ai un peu l’impression que le Parti Québécois veut se servir de toi et de ta notoriété subite. J’espère de tout cœur être dans le champ le plus total, mais j’ai comme un mauvais pressentiment que j’aimerais te partager.

Malgré les dénis de Jean Charest, c’est à peu près certain que le Québec sera appelé aux urnes au cours des prochains jours, et cette campagne électorale s’annonce comme l’une des plus imprévisibles qui soient, avec deux partis à quasi-égalité, un autre pas très loin derrière mais qu’il ne faut pas compter tout de suite comme battu et d’autres plus marginaux qui peuvent brouiller certaines cartes. D’un côté comme de l’autre, les partis cherchent des gros noms pour convaincre l’électorat que c’est à eux qu’ils doivent faire confiance et non aux autres partis. Ton parti fait pareil et les adversaires le font également. Il y a de ça à peine six mois, presque personne ne savait qui tu étais et là, en quelques semaines, sans l’avoir demandé, tu t’es retrouvé sous les feux de la rampe et tu as réussi à toucher le public d’une certaine façon qui a fini par t’attirer bien de la sympathie et de l’admiration.

Pour un parti politique en quête de gros noms qui pourraient lui être rentable, quelqu’un de ta trempe s’avère un atout de taille. Bien entendu, tu es allé vers le PQ, plus proche de tes convictions que le PLQ ou la CAQ, qui ont sans doute eu la tentation de te faire de l’oeil, juste au cas…

Le PQ que tu as rejoint va en bénéficier, mais une fois la victoire acquise, te fera-t-il confiance pour exercer quelque tâche importante que ce soit, celle qui te permettrait d’accomplir ce que tu aimerais faire pour aider les gens de ta génération à affirmer leur place dans les instances décisionnelles gouvernementales?

C’est là que réside ma deuxième crainte : celle qu’on te fasse moisir sur les banquettes d’arrière-plan pour que tu ne sois qu’une marionnette qui va voter selon la ligne de parti lors des votes parlementaires, et que tu te tannes de tout ça au point de démissionner après un certain temps, incapable de faire valoir tes idées et de les faire avancer comme tu souhaiterais pouvoir le faire.

Je suis la politique depuis ma plus tendre enfance. J’ai vécu sous huit premiers ministres, et les règnes de chacun ont été teintés de départs fracassants de gens qui s’étaient lancés en politique dans le but de changer les choses et qui ont démissionné avec fracas dès que leur bonne volonté s’est heurtée à la machine gouvernementale, les départs des anciens ministres Marc Bellemare et Phillipe Couillard en sont des exemples plus que frappants.

Tu es jeune, tu es fougueux et ambitieux. Tu veux amener la voix des jeunes de ta génération proche du pouvoir pour qu’elle l’influence dans son processus décisionnel. Ça serait triste de te voir gaspiller ton potentiel et te brûler si jeune pour devenir aussi désillusionné que nous pouvons l’être parfois lorsqu’on voit agir nos gouvernements, peu importe qu’ils soient péquiste, libéraux ou d’autre allégeance.

Je m’en fais probablement pour rien. Après tout, nul ne peut prédire l’avenir et on ne sait rien de ce que l’on est ni quelles sont nos limites si l’on ne vit pas certaines choses. Même si je ne voterai pas pour toi – je ne demeure pas dans le comté où te présentes – , je ne peux que te souhaiter sincèrement la meilleure des chances dans cette aventure. Si les choses ne devaient pas tourner comme prévu et que tu perdais tes élections, ta jeunesse te permettra assurément de t’en remettre et de continuer ton parcours avec les leçons que cette expérience t’aura inculquées.

Car perdre ses élections est un bien moindre mal que celui de perdre ses illusions.

Respectueusement,

Jean Tremblay

2 réflexions au sujet de “Lettre à Léo Bureau-Blouin”

  1. Excellente voix et très précises pensées, M. Tremblay. Vous relevez sans doute, à votre façon, l’enjeu le plus important de la prochaine élection. Votre texte mériterait d’être lu par des milliers de Québécois, des dizaines de milliers, qui, autant que vous et moi sans doute, cherchent à choisir des élus qui veulent briser le type de gouvernance  »accusée » d’être corrompue que nous avons, à une nouvelle sélection de dirigeants qui  »ferait passer les intérêts de tous les Québécois » avant l’enrichissement directe des amis, tisserands et autres fabricants de sa propre fortune uniquement. J’ose espérer que même des anglophones, que l’on dit souvent être capables de bien faire la part des choses, sauront voter cette fois, non pas pour l’engraissement de ces cortèges de corrompus établis en pouvoir, mais bien pour la raison, celle d’une nouvelle génération de dirigeants qui ont l’enrichissement de leur race, de leur pays, au sommet de leurs revendications..
    Yves d’Avignon

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