C’était le 1er août 1987, une autre magnifique journée d’un été merveilleux et ensoleillé. C’était un samedi et cette journée-là, j’étais allé au bout du rang 2 avec mon père et mes frères pour aller y voir si les bleuets étaient prêts à être cueillis. Une fois que nous avons constaté avec joie que les perles bleues étaient prêtes à aboutir dans nos réserves pour l’hiver, nous sommes retournés à la maison.
Vers 18 heures, une fois le souper complété, j’avais l’habitude de me brancher à ce moment-ci de la semaine avec la vielle télé noir et blanc de mon papa à l’émission WOW!, diffusée à l’époque à l’antenne du tout nouveau réseau TQS, pour y regarder les vidéoclips des chansons qui me faisaient triper. Plus tard dans la soirée, Radio-Canada allait présenter le match des Expos en direct du Stade Olympique contre les Mets de New York, leur grands rivaux dans cette course au championnat que les montréalais allaient encore échapper à la fin de la saison comme ils l’ont tant fait au cours de leur histoire, et pour rien au monde je n’avais envie de rater ce rendez-vous de sportif de salon.
Les Expos ont connu en 1987 toute une saison, la finissant avec une fiche de 91 victoires et 71 défaites, l’une des meilleures fiches de leur histoire. Leur sort s’est joué lors de la dernière semaine de la saison, lors d’un programme-double présenté à St. Louis contre les Cardinals, le dernier mardi de septembre alors qu’ils ont perdu les deux rencontres par très faible pointage. S’ils les avaient gagnées, les Expos auraient pu remporter le championnat lors de la dernière fin de semaine de la saison, à Montréal contre les Cubs de Chicago. Ils auraient pu même le gagner le 2 octobre, jour de mon onzième anniversaire de naissance, ce qui aurait été sans doute l’un des plus beaux cadeaux de fête que j’aurais pu imaginer. Malheureusement, rien de tout ça ne s’est produit, les Cardinals ayant remporté le championnat de la section Est de la Ligue Nationale de Baseball, terminant devant les Mets qui ont aussi coiffé les Expos en fin de saison.
La veille de ce premier jour d’août 1987, les Expos avaient asséné toute une dégelée aux Mets, l’emportant par la marque de 13-3. Dennis Martinez, un lanceur que je trouvais pourri la saison précédente, avait connu un très fort match et était redevenu l’artilleur dominant qu’il était quelques années auparavant avec les Orioles de Baltimore avant que des problèmes d’alcool n’altèrent ses performances. De plus, lors de ce match, Mitch Webster avait cogné un grand chelem, chose qui m’épatait toujours mais qui me décevait car chaque fois qu’il y en avait un, c’était lors d’un match qui n’était pas présenté à la télévision.
Dans le fond de mon rang en 1987, il n’y avait pas de télévision par câble – il n’y en a d’ailleurs toujours pas – et la télévision par satellite n’était qu’un gadget que certains fortunés pouvaient se permettre. Il fallait donc se rabattre sur la bonne vieille télé véhiculée par les ondes hertziennes. Par chance, nous avions le bonheur d’être en ligne directe avec l’antenne émettrice des Monts-Valin, celle qui relaie les signaux de presque toutes les stations de radio et de télé au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Celle-ci est située au nord de Saint-Fulgence et bien que nous soyons à quelques kilomètres de l’antenne, on la voyait très bien de jour comme de nuit, grâce à ses lumières qui clignotent 24 heures sur 24 pour signaler sa présence aux aviateurs. Cela fait en sorte que nous pouvions capter trois postes sans problème : Télé-Québec, Radio-Canada et le nouveau TQS qui n’était même pas en ondes depuis un an. Nous ne regardions pas TVA. Émettant du mont Sainte-Claire à Chicoutimi, nous étions trop haut en altitude pour capter leur signal, chose qui était cependant faisable mais fort difficile, le résultat donnant toujours une tempête de neige de janvier dans l’image, même en plein mois de juillet.
Sur le coup de 18 heures, je décide de regarder un peu les nouvelles à Radio-Canada avant d’aller voir mes vidéoclips à TQS. Après tout, si je compte l’ouverture et la première pause publicitaire, je peux compter une dizaine de minutes avant que le premier clip ne soit diffusé. Or, ce que je vit à Radio-Canada m’a à ce point touché que j’ai fini par écouter le bulletin de nouvelles au grand complet.
Le Téléjournal s’était ouvert avec une image qui ressemblait à un gigantesque incendie dont le panache de fumée qui s’en dégageait était visible à des kilomètres à la ronde. Or, il ne s’agissait pas du tout des images d’un incendie. La veille, la ville d’Edmonton a été touchée par ce qui a été à ce moment-ci la tornade la plus puissante jamais enregistrée au pays – elle fut surpassée en juin 2007 par la tornade d’Elie au Manitoba qui n’a tué personne – , semant la destruction dans les parties sud et est de la ville, faisant 27 morts, des dizaines de blessés et causant des millions de dollars de dommages. Les images des dégâts étaient spectaculaires, mais celles de la tornade étaient à couper le souffle. Elles m’ont terrifié autant qu’elles ont piqué ma curiosité.
Ce tourbillon de vents violents était gros, noir, vaste et certains plans de caméra faisaient en sorte que j’avais presque l’impression de l’avoir avec moi dans ma chambre. Des fois, on voyait la tornade disparaitre pour ensuite se reformer aussitôt avec plusieurs autres petits tourbillons à l’allure de lacets qui finissaient toujours par se regrouper pour ensuite former un seul et immense tourbillon.
Il arrivait parfois pendant les reportages qu’on nous faisait entendre le bruit de la tornade, un grondement sourd accompagné d’un sifflement aigu, signe évident de la violence des vents provoquée par la succion d’air à l’intérieur du tourbillon, une succion qui a provoqué des vents qui ont atteint les 400 km/h par endroit.
Ces images m’ont tellement marqué qu’en plus de me faire peur, elles m’ont poussé à m’intéresser au phénomène. J’en faisais des cauchemars la nuit – il m’arrive même d’en faire encore – mais j’ai eu dès ce jour l’envie d’en voir une.
Dès lors, à chaque fois qu’on parlait de tornades aux nouvelles, j’espérais voir des images de la tornade. J’étais cependant toujours déçu de voir qu’on ne montrait finalement que les dommages. Le temps a passé et les médias ont évolué. Au cégep, il m’arrivait de visionner pendant des heures les mêmes trois vidéocassettes remplies de tornades dont les meilleures ont été copiées sur une cassette VHS que j’ai encore.
Et puis vint Youtube, qui me permet de voir toutes les tornades que je veux voir, et tous les documentaires à ce sujet qui sont disponibles via cette plate-forme.
J’ai toujours rêvé d’en voir une et d’en couvrir une dans le cadre de mon travail normal. Or, il m’est arrivé d’avoir à en couvrir une proche de Dolbeau en 2003 sans toutefois que je ne l’aie aperçue. C’est cependant moi qui en a informé Environnement Canada, tout en leur refilant les contacts de témoins qui ont accepté de me raconter ce qu’ils ont vu pour qu’ils puissent effectuer leur travail d’investigation sur les événements.
Peut-être aurai-je bientôt la chance d’en apercevoir une et de la décrire en direct à la radio ou à la télévision? J’en rêve encore…
Le 31 juillet 1987 est surnommé le « Vendredi noir » par les habitants d’Edmonton. Pourtant, cette tragédie m’a fait vivre un de ces coups de foudre dont je ressens encore les effets un quart de siècle plus tard…
Visionnez une partie de ce Téléjournal, tiré des archives de Radio-Canada