Ceci est un billet à saveur exutoire, car j’ai besoin de laisser sortir un peu beaucoup de mauvais de moi. Je dois le faire, car tout garder en dedans silencieusement n’est pas bon ni pour ma santé physique, encore moins pour ma santé psychologique. J’aurais pu aussi faire le choix de tout garder par en dedans, mais comme je considère désormais le silence comme une façon de mourir, je prends l’ordinateur portable et laisse le défoulement façonner un écrit.
Ces temps-ci, j’ai l’impression d’avancer dans le brouillard le plus total qui soit. Je ne vois même pas le bout de mon nez, mais je dois avancer quand même. Pas le temps de regarder derrière ni de vivre dans le passé, car l’instant présent m’accapare trop. Je vis le sentiment assez paradoxal d’être, pour une fois dans ma vie, en plein et parfait contrôle de ma vie, même si rien ne semble se présenter à moi.
Malgré le manque d’argent qui me pousse à quêter d’un bord et de l’autre et le chômage de Harper qui n’arrivera pas avant quelques jours, je n’ai jamais regretté d’avoir accepté d’être mis à pied. Dans mon ancien emploi, je vivais avec la frustration grandissante de tourner en rond et d’aller nulle part. Même si je n’ai aucun emploi alimentaire pour le moment, je sais qu’au moins je vais quelque part, car j’ai le contrôle de mon présent.
Un contrôle toutefois fragilisé par cet argent que je dois à toutes sortes de créanciers. J’ai fait de mauvais choix dans la vie, je le sais et je l’assume. Mais cela ne doit pas dire que je dois renoncer à ce que j’espère dans la vie. Ça ne veut pas dire non plus que je n’ai pas le droit de vivre une vie à la hauteur de ce que j’espère, même s’il faut que je me batte pour.
Je ne m’attendais pas à ce que la nouvelle vie s’amorce dans la facilité. Or, je n’ai pas été déçu à ce chapitre, même si ça ne va pas comme du tout comme je veux. Mais ça fait partie du risque, et je l’assume!
Dans ma vie de caissier, je mettais un masque chaque matin, un masque sur lequel il y a un sourire et de l’entrain. Mais quand on ne voit que le masque, on se préoccupe un peu moins de ce qu’il y a en dessous. En dessous, ça pourrissait à vue d’œil. Ça sentait la frustration de n’être que caissier, d’être rejeté par les autres parce qu’on n’est qu’un insignifiant caissier, être remplaçable s’il en est un, mal payé même s’il endure les pires airs de bœuf parmi les clients qui lui donnent parfois envie de tuer…
Revenu à la maison, mon masque tombait au même rythme que mes énergies, trop vidées pour les consacrer à mes ambitions. L’hiver dernier a été terrible. Il faisait froid et l’épuisement de porter ce masque était tel que j’en ai même fait des crises de panique. Par miracle, j’ai réussi à reprendre le contrôle sans même manquer une seule journée de travail, ni même prendre de pilule! Quand le corps et l’instinct parlent d’une seule voix, il faut les écouter.
Une fois signé le papier acceptant la mise à pied, un gigantesque iceberg a fondu par dessus mes épaules, sachant que je cesserais bientôt de porter ce masque. Depuis que je ne le porte plus, je me sens enfin libre et ce sentiment vaut plus pour moi que tout l’argent du monde réuni et déposé dans mon compte bancaire. Je suis moi-même, n’ayant plus d’autre uniforme à porter que celui que je décide de mettre chaque jour quand je sors du lit.
Mais il faut bien travailler, exigence de notre société, chose que je suis bien prêt à faire, mais plus à n’importe quel prix. Même si je n’ai jamais regretté mon passé de caissier, celui-ci a laissé certaines traces désagréables, notamment celui de m’être gaspillé pour assouvir des besoins alimentaires à très court terme, repoussant toujours à plus tard ce que j’aimerais faire pour gagner ma vie pour vrai et tous ces projets qui me tiennent à cœur.
Je vois tout le monde tomber en couple, décrocher l’emploi de leur rêve, voyager, et moi je regarde tout ça en me demandant pourquoi ça ne m’arrive pas. Il n’y a donc finalement pas aucune autre issue pour y parvenir que celle de me prendre en main, mais pas en faisant quelque chose qui me donnerait l’impression de me gaspiller et de mourir à petit feu, en attendant que le Grand Tout arrive.
Or, la vie est courte! J’aurai 40 ans dans un peu plus de deux ans. Ce n’est plus le temps d’attendre le Grand Tout, mais plutôt de le créer. Une avenue risquée, remplie d’incertitude certes, mais je n’en vois pas d’autre à emprunter que celle-là pour voyager moi aussi, aussi souvent et aussi longtemps et aussi loin que je le veux, être en couple et faire assez d’argent pour avoir l’impression que tout l’argent du monde est déposé dans mon compte bancaire.
Me remettre à porter un masque? Plutôt mourir… À vrai dire, ce serait déjà une certaine mort, une forme d’abdication qui rend prisonnier un futur désiré de tracas passagers. Je ne veux pas mourir à 37 ans et n’être enterré qu’à 80 avec l’impression de n’avoir vécu qu’à moitié, rempli de frustrations qui auront fini par me tuer par en dedans.
Dans un sens, je me bats pour ma vie. Pas au même titre cependant que celui qui se bat contre un cancer, mais je n’ai pas à attendre qu’une maladie commence à me manger de l’intérieur pour imposer le cap que je veux prendre.
Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas, j’aime mieux m’en tenir à ma marche dans le brouillard épais sur cette route qu’est ma vie dont je ne vois rien de ce qui se trame, dans l’espérance que ça se clarifie bientôt, dans l’assurance que ce qui devait être fait a été fait et que c’était ce qu’il fallait faire, dans la certitude que ça en valait la peine.
Qui m’aime me suive, les autres, laissez-moi marcher… Vous ne lisez pas un chômeur parmi tant d’autres qui se cherche un emploi, mais un être humain en pleine quête qui veut se prouver sa valeur et l’imposer à l’Univers tout entier. Deux choses TRÈS différentes!