Blogue au thon, Uncategorized

Court essai sur la survivance de notre belle langue (Souvenir de Sherbrooke)

Sherbrooke, septembre 2006. Deux Québécois francophones discutent ensemble au centre-ville et le font en anglais. J’étais l’un de ceux-là.

Moi, originaire du Saguenay, à quelques jours de la trentaine, sur le chômage après une expérience radiophonique désastreuse, mais marquante dans mon cheminement. L’autre, un jeune homme qui venait d’avoir 22 ans. Originaire d’un village proche de Rimouski, il venait de compléter un baccalauréat à l’Université Laval et était venu à Sherbrooke pour étudier en administration. Il m’intéressait, mais je ne l’intéressais pas. Mon cœur s’est meurtri en se frappant contre ce mur qu’il fut sur ma route. Il a maintenant disparu dans la brume, au fur et à mesure que nos routes respectives se sont éloignées l’une de l’autre, comme bien trop de gens que j’ai croisés au cours de mon existence.

Nous discutions de tout et de rien dans la langue de Shakespeare, un peu comme si c’était une blague. Nous nous baladions dans les rues de Sherbrooke, magnifique ville des Cantons-de-l’Est, où nombreuses sont les rues qui portent des noms anglophones. King, Galt, Portland, Kennedy, Bowen. Je pourrais remplir des pages de ces noms qui sont signes du passé loyaliste de cette ville fondée au début du dix-neuvième siècle par Gilbert Hyatt, un colonisateur né dans l’état de New York, qui voulut profiter de la force hydraulique des rivières Saint-François et Magog pour y installer un moulin à farine.

Rapidement, l’endroit fut prisé d’abord par des colons américains et britanniques qui vinrent s’y établir. Des Québécois les suivirent par après à cet endroit qui fut nommé initialement Grandes-Fourches, pour ensuite prendre le nom de Hyatt’s Mill, avant d’adopter définitivement le nom de Sherbrooke, en 1818. On a voulu ainsi honorer Sir John Coape Sherbooke, le gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique jusqu’à cette date.

Pour en revenir à cette belle soirée de septembre 2006, où il faisait encore chaud comme en été, moi et ce jeune homme aux yeux d’un bleu si vif qu’on croirait que la nature a reproduit dans son regard le fleuve de son village en le fabriquant, nous discutions en anglais dans une ville pourtant francophone, dans la seule province du pays qui a fait du français sa langue officielle, en 1977.

Sans le savoir, nous étions en avance sur notre époque. De plus en plus depuis ce jour, j’ai constaté des francophones discutant entre eux dans la langue de Shakespeare, autant dans leur travail que dans leur vie de tous les jours. Cela peut sembler bien anodin au premier regard. Après tout, ce n’est pas un luxe de maîtriser plus d’une langue, c’est même une nécessité de nos jours.

Ce qui m’inquiète, en tant que francophone, c’est que j’assiste passivement au déclin de ma langue. On se fait dire souvent que nous sommes un iceberg francophone dans une mer anglo-saxonne. Or, l’eau tout autour se réchauffe, et on sait très bien ce qui arrive à un glaçon quand on le jette dans de l’eau chaude.

Verra-t-on la disparition du français un jour en Amérique ? J’ose espérer que l’on se réveillera pour préserver ce précieux héritage de plus de 400 ans de présence francophone contre vents et marées. Le projet de pays du Québec est peut-être mort, cela ne veut pas dire que sa langue officielle doit se fondre et mourir sur l’autel du multiculturalisme.

Si cela arrive, Hubert Aquin se dira qu’il avait eu raison de prédire notre fin, pendant que Lord Durham et Pierre-Elliot Trudeau festoieront en regardant le fils du dernier perpétuer l’œuvre de son paternel.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s