un peu n'importe quoi

Notre-Dame-du-Beigne-Doré (La patate Dionne)

Deux lieux, deux incendies, deux époques différentes, deux réactions opposées.

Octobre 2012, je débarque à Paris pour la première fois de mon existence pour deux semaines de péripéties inoubliables. Deux ou trois jours avant de retourner à Montréal, je passe devant Notre-Dame-de-Paris. Sans doute sous l’effet de la fatigue, je me suis dit que j’irais une autre fois. Et je suis revenu chez mon frère, à Levallois-Perret, sans savoir que j’allais regretter cette non-visite, ignorant qu’un jour ce monument serait attaqué par les flammes.

Quelque part en 1981, alors que nous n’étions que deux enfants dans la famille, nous vivions dans un petit appartement de la rue Simard, à Saint-David-de-Falardeau. Dans ce petit village où le câble ne se rendait pas encore, nous n’avions d’autre choix que de nous fier sur nos bonnes vieilles oreilles de lapin pour capter le peu de postes de télévision que nous avions.

Nous passions le plus clair de notre temps devant la télé à regarder CKRS Télévision qui retransmettait les émissions de Radio-Canada au Saguenay-Lac-Saint-Jean au canal 12. Parfois, on regardait aussi le canal 6, CJPM-TV, dont l’antenne est située sur le mont Sainte-Claire, à Chicoutimi. Mais comme nous vivions à une altitude plus haute que celle de CJPM, il était rare que l’on syntonise ce poste. Même si nous vivions dans un village nordique et même si nous accueillons avec joie les premiers flocons en octobre, il arrive que ceux-ci finissent par nous exaspérer de leur présence et de leur volonté de la prolonger une fois le printemps arrivé. Et quand ça floconne même jusque dans la télé, il est normal de vouloir aller regarder ailleurs, là où l’image est un peu plus claire et mieux ensoleillée, même si elle montre des flocons de neige en train de tomber.

J’ai souvenir de plusieurs publicités locales qui m’ont marqué, notamment celles mettant en vedette Jean Ducharme, animateur vedette de CKRS Télévision que l’on entendait aussi à CKRS Radio, les deux médias étant des propriétés de la même entreprise, soit Radio-Saguenay ltée, aujourd’hui défunte. La notoriété de Jean Ducharme était telle qu’on pouvait le voir et l’entendre partout presque en tout temps.

J’ai souvenir aussi d’une annonce d’un producteur de pommes de terre qui était situé à Saint-Ambroise, si mon souvenir est bon. Saint-Ambroise, c’est juste à côté de mon Saint-David-de-Falardeau natal. Suffit d’emprunter le chemin de la Bleuetière et on se retrouve aussitôt plongé dans la splendeur des magnifiques champs de patates qui donnent l’impression de s’étendre jusqu’au pied des Monts-Valin. Pour en revenir à cette publicité de pommes de terre, il fallait admettre que la famille qui a eu l’idée de la concevoir avait bien songé à sa chute. La chute, c’est un peu comme la dernière phrase d’un texte, le punch final. Au baseball, c’est un peu le rôle que joue le releveur de fins de match, surnommé le « closer », celui à qui revient la tâche d’aller chercher les deux ou trois retraits nécessaires afin de terminer la rencontre et de préserver la victoire. Dans cette annonce, on n’y voyait rien d’autre que des photos de champs de patates, des gens de toutes les générations autour d’une table ayant du plaisir autour d’un bon repas, et l’assaut final en guise de conclusion : un enfant de 3-4 ans (aucun souvenir si c’était un garçon ou une fille) qui dit en guise de slogan « La patate Dionne, câline qu’est bonne! » Un classique de la publicité locale était né, malheureusement introuvable nulle part.

Mais mon œil gourmand de jeune enfant n’avait pas envie que de patates Dionne, mais aussi de beignes. À une époque où Tim Horton’s et Dunkin’Donuts ne sont pas encore installés dans cet îlot de civilisation encerclé par 200 km d’épinettes noires qu’est mon Saguenay-Lac-Saint-Jean natal, le commerce de la beigne revenait à des initiatives de gens d’affaires qui avaient recours à la publicité pour faire connaître leurs établissements.

Dans le centre-ville de Chicoutimi se trouvait une beignerie nommée « Le Beigne Doré ». Partout, leur publicité se faisait voir. À la télé, les images de cette pâtisserie sucrée donnaient envie de s’en empiffrer. Quand je voyais ces images, je pressais mes parents d’aller y faire un tour lors d’une prochaine escapade en ville. Et quand ce n’était pas les images qui me réveillaient l’appétit, c’était la voix de Louis Champagne qui en parlait souvent le matin à la radio dans des termes plus qu’élogieux, avant même que je sache qu’il s’agissait de « lives », ces messages commerciaux faits en direct par l’animateur au micro.

Mon opération de harcèlement parental fut ambitieuse, mais finit par porter fruit. Après moult refus, j’ai finalement obtenu un oui et j’avais aussitôt commencé à compter les dodos avant le fameux vendredi où enfin, je pourrais goûter aux beignes du Beigne Doré. Nous étions le lundi et il ne restait plus que quatre dodos avant la visite tant attendue.

Le mardi fit son arrivée, et l’une des premières choses qui me vinrent à l’esprit ce matin-là, c’est qu’il restait un dodo de moins avant le vendredi. Plus que trois, celui du mardi au mercredi, celui du mercredi au jeudi et celui du jeudi au vendredi, celui auquel j’avais le plus hâte.

24 heures plus tard, encore plus de bonheur dans mon esprit de gamin. Plus que deux dodos et enfin je pourrais goûter aux beignes du Beigne Doré. Jusqu’à ce moment précis, je ne savais pas encore quelle saveur j’allais choisir, mais ce mercredi-là, mon choix était fait : j’allais prendre un beigne au chocolat. J’étais encore loin de me douter que jamais je ne goûterai à quelconque beigne du Beigne Doré…

Sur l’heure du midi, aux nouvelles régionales à la télévision, le journaliste Jean-Paul Tremblay annonçait de sa voix grave et de son ton lugubre qui étaient sa marque de commerce que le restaurant « Le Beigne Doré » avait été rasé par les flammes vers dix heures ce matin-là, en plein pendant Passe-Partout. De plus, le journaliste a rapporté que l’édifice est une perte totale et que les propriétaires ne savaient pas encore s’ils allaient reconstruire.

Ce fut peut-être un fait divers banal pour n’importe qui, mais ce fut une tragédie pour l’enfant que j’étais. Néanmoins, je m’étais accroché à l’espoir d’une reconstruction assez rapide pour que je puisse goûter quand même à mon beigne au chocolat deux jours plus tard, comme prévu au départ.

Hélas! Un restaurant, ça ne se reconstruit pas en deux temps trois mouvements, et c’est ce que je me fus même de constater, deux jours plus tard, alors que j’étais en ville avec mes parents.

Dans la tête d’un enfant en âge d’écouter Passe-Partout, un immeuble incendié se reconstruit tout de suite après le sinistre, d’un coup sec, et les opérations reprennent presque comme si rien ne s’était passé. Alors que passait la vieille Oldsmobile 1976 verte de mon papa fit un détour spécial pour me montrer ce qui restait de la beignerie, les minces espoirs de dégustation de beigne furent définitivement anéantis. Me souvenant que la reconstruction n’avait pas encore été décidée par les propriétaires lors de l’incendie, il m’est arrivé peut-être à deux ou trois reprises de demander à mes parents si le Beigne Doré était né une deuxième fois de ses cendres. La réponse fut négative à chaque fois, et tel que je l’appréhendais, le Beigne Doré ne fut jamais reconstruit. Cela ne m’attrista pas vraiment, puisque Passe-Partout m’avait fait passer à autre chose. De toute façon, les grandes chaînes allaient débarquer dans mon Saguenay-Lac-Saint-Jean quelque temps par après, et ceux-ci auraient fini par avoir la peau du Beigne Doré. Tant qu’à se faire avaler tout rond par la concurrence, aussi bien se consumer par l’incendie, on se fait oublier sans doute plus vite et mieux ainsi.

Néanmoins, câline qu’ils avaient l’air bons, les beignes du Beigne Doré.

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