
Joshua a cinq ans. À la garderie, son meilleur ami était Patrick Perron, le fils de Mathieu Perron et de Vanessa Viger, une de mes cousines du côté paternel. Les trois sont morts le soir du 1er août 2015, résultat de leur rencontre avec la camionnette du chauffard Yves Martin.
Quelques mois plus tard, ma grand-mère maternelle mourait à son tour. Exposée au même salon mortuaire de Chicoutimi-Nord où l’ont été Mathieu, Patrick et Vanessa lors de leurs décès, j’ai eu l’idée d’aller au columbarium adjacent pour me recueillir devant leurs cendres, ayant été dans l’impossibilité de me déplacer pour leurs funérailles.
Myriam, la conjointe de mon cousin Christian, décida de m’accompagner avec Joshua, leur fils. Lorsque nous sommes arrivés devant les trois urnes, Joshua s’en est approché et a regardé la plus petite d’entre elles, celle contenant les cendres de son meilleur ami, placée au milieu entre celles de ses parents.
Après un bref silence, Joshua a lancé à son ami un ultime message, le sanglot dans la voix. « Je vais toujours t’aimer. Je vais toujours penser à toi » avait-il déclaré.
Un an et demi après la tragédie, il parle encore souvent de son ami à ses parents. « J’espère qu’il fera de la bicyclette sur les nuages », avait-il dit à sa maman quand elle lui a appris le décès de son ami.
Le sort en est jeté depuis jeudi. Yves Martin, le grand responsable de ce sinistre carnage, a été condamné à passer 14 ans derrière les barreaux pour son égoïste témérité.
Dans un monde idéal, sa condamnation aurait permis de redonner vie à ceux qui sont morts lors de ce beau soir d’été.
J’imagine la famille de Mathieu renouer avec lui et tout le bienfait qui s’en serait fait aussitôt ressentir. Son départ a eu l’effet d’une bombe nucléaire en plein visage sans avertissement. « Des blessures si profondes qu’on se demande si elles pourront être soulagées » avait dit le juge François Huot, lors du prononcé de la sentence.
J’imagine aussi comment auraient été les retrouvailles de Vanessa avec sa famille, déjà éprouvée par la perte de son paternel, emporté par le cancer dix mois avant le drame d’août 2015. Le rang des Hirondelles à Saint-David-de-Falardeau en aurait sans doute tremblé de joie pendant de longues heures, avec les grands succès de Lionel Richie en guise de trame sonore.
Et Joshua aurait retrouvé son ami, qui aurait eu en sa compagnie un frère ou une sœur, puisque Vanessa avait annoncé qu’elle était enceinte de son deuxième enfant sur Facebook deux jours avant l’accident.
Mais la réalité n’est pas toujours comme on la souhaiterait. Si bien que, malgré la condamnation, nous sommes tous un peu comme l’était le petit Joshua devant les cendres de son ami, avec la même douleur, la même impuissance et la même incompréhension vis-à-vis le fait d’avoir vu partir aussi tragiquement des gens que l’on aimait à un âge où l’on n’est pas supposé mourir, où l’on est plutôt supposé n’être encore qu’au tout début, là où tout est encore possible. « Une sentence à vie » comme l’ont résumé Danielle et Johanne, les mères des victimes.
Maintenant que le sort d’Yves Martin est réglé, qu’en est-il de cette mentalité qui crée des Yves Martin? Cette mentalité qui fait du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’une des pires régions de la province en terme d’alcool au volant, cette mentalité qui fait que « le message ne passe pas » comme le disait le juge Huot.
J’espère que cette tragédie nous forcera à nous regarder une fois pour toutes dans le miroir et qu’elle changera le rapport que nous avons face à l’alcool.
Notre région a la réputation d’être habitée par des gens qui aiment fêter et qui aiment bien le faire de façon arrosée. Cependant, les excès de certains déteignent négativement sur le reste de la population, au point de nous faire passer tous pour une bande d’alcooliques aux yeux du reste de la province.
Changer des mentalités ne se fera pas du jour au lendemain. Il est déplorable que des tragédies comme celle que nous avons connue soient nécessaires pour nous ouvrir les yeux collectivement.
Mais combien de temps resteront-ils ouverts?
Jean Tremblay
Animateur de radio
Montréal, 28 janvier 2017
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