« Qu’est-ce qu’un homme avec un CV comme le vôtre fait ici? » m’a demandé la responsable des ressources humaines d’un Canadian Tire situé près de chez moi, il y a de ça une semaine, lors d’une journée d’embauche massive à cette succursale.
« Mon chômage est terminé et je dois me trouver un emploi vite », lui répondis-je. Car oui, j’ai épuisé jusqu’au dernier cent les semaines de chômage que Stephen Harper m’a accordé, moi qui croyais en avoir pour encore au moins un mois.
Cette situation m’a forcé à replonger dans une recherche d’emploi alimentaire. J’ai presque tout essayé : caissier, télémarketeur, préposé dans un centre d’appel, alouette! Des dizaines de CV envoyés et le téléphone n’a sonné qu’une seule fois.
C’était pour une entrevue de groupe pour un poste d’agent de télémarketing dans une entreprise reconnue pour être la Maison Columbia du livre, dont le siège social se trouve à Saint-Laurent, pas trop loin de là où je demeurais encore il y a un an à peine.
C’était un vendredi matin pluvieux, alors qu’une tempête printanière imposait ses états d’âme sur le sud de la province. J’arrive à l’entrée et me présente à la réceptionniste, lui disant que je viens pour l’entrevue de 10 h 30. Déjà deux demoiselles programmées sur la même entrevue que moi étaient arrivées et attendaient à l’entrée des bureaux, alors qu’une quatrième a fait son entrée peu de temps après moi. En plus d’être le seul homme du groupe, j’étais aussi le seul québécois, puisqu’une des demoiselles était française et les deux autres étaient africaines.
Deux filles – une Française et une Québécoise enceinte de mille mois – se sont chargées d’animer l’entrevue de groupe. Il a d’abord fallu se présenter en se nommant et en disant pourquoi on voulait travailler pour cette compagnie tout en terminant avec un élément de human interest. C’est là que j’ai appris que la Française qui animait la discussion revenait d’un congé de maternité et que son assistante, enceinte de mille mois, allait amorcer bientôt le sien, ce qui a ému de beaucoup les autres filles interviewées. C’est à ce moment précis que j’ai senti que le simple fait que je sois un homme allait jouer en ma défaveur…
Ensuite, on nous a fait lire chacun un texte constitué de lignes que chaque télémarketeur doit lire à la personne qui l’appelle. Les autres pouvaient me couper la parole et je pouvais couper la parole aussi aux autres quand c’était leur tour de l’île. Je n’ai pas aimé cette étape, où à plusieurs reprises les candidates échangeaient des clins d’œil humoristiques avec les intervieweuses en se racontant des anecdotes de grossesse et de congé de maternité.
N’ayant jamais été enceint, je me suis senti de plus en plus ostracisé au sein de ce groupe, et même si la deuxième partie de l’entrevue s’est mieux déroulée – il fallait que je fasse un pitch de vente pour une petite balance à bagages —, j’ai tout de suite senti que la suite des choses n’allait pas être bonne en ce qui allait me concerner.
Il s’est cependant produit un truc étrange lorsque moi et les trois autres interviewées avons été escortés vers la sortie. L’intervieweuse qui revenait de son congé de maternité a dit aux autres filles « Bon retour » avant qu’elles ne franchissent chacune la porte, alors qu’elle m’a plutôt dit « À bientôt! » lorsque ce fut mon tour de sortir. Cela a semé un certain doute dans mon esprit même si je savais bien que cela ne voudrait absolument rien dire.
La suite des choses m’a prouvé que j’avais raison de penser ainsi, car mon téléphone n’a jamais sonné pour me dire qu’on m’embauchait. J’ai plutôt reçu un insipide courriel m’informant que le processus d’embauche n’irait pas plus loin en ce qui me concerne, avec tous les remerciements plates et prédigérés d’usage.
C’est ainsi donc que se passe ma vie de gars dont le chômage est fini et qui doit se trouver un petit travail alimentaire pour être capable de vivre en attendant de pouvoir être pleinement capable de vivre de ce qu’il sait faire de mieux, soit écrire.
J’ai ma petite hypothèse pour expliquer pourquoi on ne veut pas m’engager pas même comme caissier. Je crois qu’en voyant que je pratique le journalisme à la pige et l’écriture comme passe-temps, qu’on me considère comme un journaliste-espion à la solde d’un quotidien quelconque dans le cadre d’un possible reportage sur la vie de personne qui vit au salaire minimum. Et ma voix d’animateur radiophonique qui continuera toujours à sonner ainsi même si je ne fais plus de radio n’aide pas à la situation.
À une heure où les créanciers me harcèlent au téléphone – j’ai même cessé de leur répondre, si au moins ils prononçaient mon nom comme du monde peut-être comprendrait-je que c’est bien à moi qu’ils veulent parler – et où j’ai deux cours universitaires à finir avec succès, je reste zen malgré tout sans trop que je ne sache comment.
Peut-être devrais-je aller au bureau du quémandement de la béessitude – merci Victor-Lévy Beaulieu pour ce magnifique néologisme –? Endroit considéré comme un haut lieu de pognage de cul de cuir fonctionnarial à gros salaire où l’on se sent comme figurant dans une adaptation cinématographique du programme de Québec solidaire. J’irais y quémander la béessitude gouvernementale en voulant faire reconnaître le fait d’avoir travaillé dans les médias comme incapacité au travail. Ça serait une bonne idée, au moins pour aider les rares comme moi dans cette situation…
Mais vous savez aussi bien que moi que je ne le ferai pas, je suis meilleur que ça. Et c’est peut-être ça le message que la grande main du Destin – que certains appellent aussi Providence – m’envoie à travers tous ces refus, me disant que je vaux plus que d’être un simple caissier ou n’importe quel autre emploi où l’on est facilement remplaçable dès qu’on décide d’aller ailleurs.
J’aurais pu voir la fin de mon chômage comme une tragédie. Je la vois plutôt comme la plus belle chose qui me soit arrivée depuis longtemps, car je suis désormais libre de faire autant d’argent sans avoir à le déclarer à quelque fonctionnaire que ce soit, sauf à ceux de l’impôt – mais ça, c’est un autre problème. –
J’en suis donc venu à la conclusion que j’en suis au point dans ma vie où ça se joue, où je dois montrer ce que je sais faire et de quel bois je me chauffe. C’est toute une commande, difficile certes, mais combien stimulante. L’adversité est extrême, mais aucune réussite n’a été accomplie sans un minimum de présence de la part de cette dernière.
Alors, jouons. De telles chances passent rarement dans une vie, alors profitons-en!