C’est en lisant un livre que j’ai presque détesté que je me sois mis à aimer William Burroughs. Ce livre, intitulé « Le festin nu », est la chose à la fois la plus étrange et la plus merveilleuse que j’ai jamais lue de ma vie. C’est un roman constitué d’histoires qui n’ont aucun rapport entre elles et qui se tiennent parfois de façon tellement bizarre qu’il faut les lire pour savoir de quoi je parle.
Ce n’est pas un livre à la portée de tous, car le lire n’est pas une sinécure. On se pose souvent « C’est quoi le rapport? » comme question en lisant les chapitres, pourtant fort bien écrits. William Burroughs a longtemps lutté contre les démons de la drogue, ce qui fait en sorte que je considère ce livre comme une orgie poético-scientifique plutôt réussie, qui prend aussi des allures d’une belle grande anarchie dont seul Burroughs était capable de créer.
C’est il y a un an que j’ai commencé à lire « Le festin nu », en pleine période prégrève chez Renaud-Bray. Je me le suis d’ailleurs procuré dans ma librairie, à l’aide du vénérable libraire Edgar, un vieux grincheux sympathique aux allures de Monsieur Tranquille, cette célèbre marionnette rendue populaire à la télévision québécoise il y a de ça bien longtemps.
Je savais quelques trucs sur Burroughs et sur ce récit. Je savais que drogue et homosexualité étaient des thèmes qui revenaient souvent dans ce livre, sur lequel Jack Kerouac a travaillé, afin de le rendre publiable, puisque la genèse de ce roman-culte se trouve dans des ébauches que Burroughs a écrites à la main, la plupart du temps intoxiqué à je ne sais plus trop quelle substance, puisque Burroughs en a consommé plusieurs, qu’il a ramenés sous le terme « came ».
Il a d’ailleurs écrit ce livre pour se délivrer de ses démons intérieurs, qui prennent dans « Le festin nu » la forme de créatures imaginaires qu’il appelle « mugwumps ».
Je n’ai d’ailleurs commencé à aimer ce livre uniquement que lorsque je l’ai terminé. Ce qui m’a poussé à lire ce livre au complet, c’était pour être capable de trouver un fil conducteur entre chacune des histoires, pensant qu’elles étaient un peu à la Balzac, avec une finale spectaculaire qui se laisse monter de façon tellement lente et dense que ça devient un peu insupportable à lire. Or, même sans avoir trouvé de fil conducteur, j’ai reconnu tout de suite William Burroughs comme un génie de l’écriture, simplement parce que pour qu’il ait été capable de maintenir mon attention de lecteur jusqu’à la fin malgré toutes les interrogations que je me faisais sur ce livre, ça prenait un écrivain doué d’un génie hors du commun.
Je me suis mis à lire d’autres livres de Burroughs, comme « Les cités de la nuit écarlate » et les « Lettres du Yage », sa correspondance avec le poète américain Alan Ginsberg — grand ami de Burroughs et de Kerouac, dont je n’ai lu encore aucun livre. — Aucun de ces bouquins n’arrive à la hauteur du « Festin nu ». Je suis en train de lire « Junky », le véritable premier roman de Burroughs, et celui me plaît. J’en suis à la moitié de ce livre, inspiré de la descente dans l’enfer de la drogue de son auteur.
Né en 1914 à Saint-Louis, William Burroughs a grandi dans une famille aisée, mais a préféré l’exode à la vie de garçon riche. Il a exercé toutes sortes de métiers avant d’aboutir à l’écriture. Il s’est marié avec une femme qu’il a tuée accidentellement d’une balle à la tête, un soir de beuverie. Il a eu un fils, qui a été écrivain aussi, et qui est mort jeune, à l’âge de 33 ans en 1981. Après la mort de son épouse, Burroughs a découvert son homosexualité et l’a assumée pleinement, malgré le contexte de l’époque.
Il écrit « Junky » en 1953, avant de proposer « Le festin nu » à des éditeurs américains, qui l’ont tous rejeté. C’est finalement un éditeur de Paris qui décide de publier ce manuscrit en 1959. Aussitôt sorti, le livre est aussitôt condamné par la censure américaine. Ce n’est qu’au cours des années 70 que William Burroughs voit son talent être reconnu dans son pays d’origine, qui le considère même comme un des meilleurs écrivains américains du vingtième siècle. Il est mort en 1997, à Kansas City, victime de problèmes cardiaques. Il avait 83 ans.
Si vous ne voulez pas lire « Le festin nu », je vous suggère de voir le film que le réalisateur canadien David Cronenberg en a fait en 1992. Du grand cinéma!