Je n’ai pu rester insensible à cette nouvelle qui a défrayé l’actualité récemment : celle où Sears Canada annonçait qu’elle fermait son centre d’appel de Ville Saint-Laurent pour confier sa section de vente téléphonique par catalogue à un sous-contractant situé en Bulgarie.
La nouvelle m’a interpellé simplement parce que, dans une vie antérieure, j’ai travaillé dans ce centre. Je m’en souviens encore plus facilement aujourd’hui, d’autant plus que j’ai été engagé le lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et que le ralentissement économique provoqué par ceux-ci allaient entrainer la perte de mon emploi peu de temps avant Noël cette année-là.
Ce matin du 11 septembre 2001, je dormais chez des gens douteux que j’avais comme colocataires sur la rue Troy, à Verdun. J’étais allé la veille à Laprairie pour une leçon de radio supplémentaire, puisque j’apprenais les rudiments du métier d’animateur radiophonique, que j’ai pratiqué par la suite presque sans interruption jusqu’en août 2008.
Il faisait très beau ce matin-là, une belle journée d’un été qui commençait à tirer à sa fin. Mon cellulaire sonne vers 8h25 et c’était Sears pour une entrevue téléphonique qui dura une quinzaine de minutes. Avec rien de prévu pour la journée, j’ai décidé de prolonger le sommeil et c’est pendant ce somme que l’Histoire avec un grand H s’est écrite alors que Morphée me berçait de ses bras solides (compte tenu de ma charpente) et rassurants.
En après-midi, j’ai décidé d’aller à Saint-Laurent, question de savoir comment me débrouiller pour me rendre à cet endroit où aura lieu l’entrevue en personne du lendemain. Alors que j’étais dans le vaste stationnement de ce grand édifice, j’avais droit à un spectacle aérien fascinant avec tous ces avions qui ne pouvaient atterrir en sol américain et qui ont été détourné vers l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau de Montréal. Il faut dire que l’édifice de Sears se trouve à peine à moins de cinq kilomètres des pistes de l’aéroport et que les avions peuvent y être facilement observés puisqu’ils y passent très bas.
Le lendemain, j’étais engagé et mon expérience en centre d’appel a débuté. Chaque journée, je rentrais dans cet édifice imposant où la surveillance était parfois dérangeante. Je me suis souvent fait intercepter par des agents de sécurité simplement pour me dire d’enlever mes écouteurs. Il y avait un grand couloir qui montait vers la salle d’appel décoré de chaque affiche du Téléthon de la Dystrophie Musculaire, dont la moitié avait la face de Michel Louvain dessus. La cafétéria était intéressante puisqu’elle offrait toujours d’excellents repas, sans doute la meilleure cafétéria que j’aie fréquenté de ma vie.
Mais à part tout ça, c’était plutôt ennuyeux y travailler. J’y étais assis devant un ordinateur, un casque d’écoute sur la tête – pas le mien, celui de la compagnie, relié à un téléphone – prêt à répondre à chaque instant dès qu’un beep se fait entendre. J’ai quand même vécu de beaux moments, notamment chaque fois que je tombais sur une acadienne – j’adore leur accent et leur joie de vivre – ou encore quand je tombais sur quelqu’un qui n’avait rien de mieux à faire que de me raconter sa vie – je me faisais un plaisir de lui clouer le bec en lui disant de se faire entendre ailleurs -. Mais peu importe à qui je parlais, il fallait que je fasse la promotion de la carte Sears à chaque appelant qui ne l’avait pas. Même si je me doutais bien qu’on me garderait pas après les Fêtes, j’avais quand même 86 activations réussies à mon actif, nettement plus que bien des collègues, ce qui pouvait sans doute jouer en ma faveur.
Mais la réalité fut toute autre : pendant de nombreuses journées où je travaillais, je ne prenais qu’un appel aux 20 minutes et les autres employés sur le plancher en recevaient tout autant que moi, s’emmerdant solidement entre deux téléphones autant que je le faisais. Le 22 décembre arriva et on m’a dit que malgré que je faisais un bon travail, mes services n’étaient plus requis en raison du ralentissement économique provoqué par les attentats du 11 septembre précédent. Et je me suis ramassé ailleurs par la suite…
C’est probablement ce qui arrivera sans doute à ceux qui travaillent encore dans ce gros édifice de Ville Saint-Laurent, juste de l’autre côté de Place Vertu, où je viens faire un tour de temps en temps, puisque ce n’est pas trop loin de là où je demeure. Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas tout le monde qui vient d’entrer qui perd sa job, mais bien tout le monde qui la perd. Sears va continuer d’exister, sauf qu’au lieu d’avoir un canadien francophone qui nous répond de son centre d’appel de Montréal ou de Belleville Ontario, ce sera du monde de Sofia, en Bulgarie, qui vous répondra au téléphone, qui vous dira : « Sears, Sofia, puis-je vous aider? » avec un accent qui n’a rien de québécois, d’acadien, de franco-ontarien, de fransaskois ou de francomachinchouettedequelquepartauCanadaoùçaparlefrançais. Quelle honte!
Sears fait donc la même chose que Bell et combien d’autres compagnies qui délocalisent leurs centres d’appels en les expédiant à des endroits où ça leur coûte moins cher. Oubliez les Îles Mouk-Mouk! C’est en Abitibi, au Canada. C’est bien mieux de faire servir sa clientèle par des Mohamed en Inde même pas foutus d’écrire Tremblay comme du monde comme ça m’est arrivé chez Bell en 2006.
Je ne me souviens plus c’était quand la dernière fois que j’ai acheté quelque chose chez Sears, peu importe si c’était en magasin ou par catalogue. Je peux vous dire que c’était la dernière fois que j’achetais chez eux. La décision de transférer leurs centres d’appel en Bulgarie me pue au nez, mais ce qui est encore pire, c’est ce qu’ils ont dit à leurs employés de dire aux gens qui commandent qui auraient eu envie de leur jaser de la situation. Grâce à la merveilleuse technologie du copier-coller, je vous présente cet extrait d’un communiqué dont Radio-Canada a eu copie.
Question : Pourquoi Sears a-t-elle pris cette décision?
Réponse : D’après ce que je peux comprendre, Sears transfère la responsabilité de ses centres de contacts clients, car cette solution est plus efficace et rentable.
Question : Perdrez-vous votre emploi?
Réponse : Ce centre fermera ses portes, ce qui signifie que tous les associés qui y travaillent, y compris moi-même, quitteront Sears après une période de transition.
Question : Êtes-vous furieux contre Sears?
Réponse : Non. Ce n’est pas ma préoccupation maintenant. Pour l’instant, je cherche à m’assurer que vous recevez le meilleur service possible aujourd’hui.
En terme de stratégie de relations publiques, c’est sans doute l’une des pires choses que j’ai vue. Sears pense-t-elle que les gens qu’elle congédie n’ont pas de fierté au point de répéter ça quand la situation l’exige? Si j’y travaillais encore, c’est certain que je dirais le vrai fond de ma pensée.
Tant qu’à se faire crisser à la porte, aussi bien que ce soit pour une bonne raison, non?
Courage aux employés qui restent. La vie vous amènera ailleurs…
Le problème, c’est qu’il n’y a pas que les employés des centres d’appels qui seront remerciés; parti comme c’est là, ceux-ci n’auront pas terminé leur période de chômage que le personnel des magasins les auront rejoint sur le trottoir! Sears se meurt à petit feu depuis plusieurs années déjà, et les ventes de la dernière période des fêtes furent désastreuses. Même la dernière campagne de pub télé n’y a rien changé. Sears joue son va-tout, en 2014, rien de moins.
La situation me fait penser à celle d’un petit restaurant, ici, dont la propriétaire disait à qui voulait l’entendre que faire de nombreuses heures n’était pas un problème, pour elle. Puis, au courant de l’été, elle s’est mise à fermer le resto entre le diner et le souper; ce fut le commencement de la fin! Le feuillage des arbres n’avait pas fini de rougir qu’elle avait mis la clé sous la porte. Quand on commence à couper dans l’essentiel, la fin est proche.
La vente au détail est un domaine très concurrentiel, et chaque dollar investi doit rapporter. Les Canadian Tire, Walmart et autres Target de ce monde l’ont compris, et ajustent leurs stratégies à mesure que leurs concurrents font un bon coup. Sears est le dernier magasin à rayons généraliste à publier des catalogues, desquels on peut commander par téléphone; même s’il a certains charmes, il s’agit d’un système coûteux, et définitivement dépassé.
Lorsque Sears fermera son dernier magasin, les journaux titreront probablement des trucs du genre « Le catalogue est mort, vive le web! » Et parce que Sears n’aura pas su prendre le virage à temps, cette institution, comme les Dupuis & Frères, Simpson’s et Eaton avant elle, le paiera de sa vie.
J’ai appele chez Sears hier, je ne comprenais rien a ce que disait le premier intervenant et la deuxième m a raccroché la ligne au nez. Bravo pour le service à la clientèle!