Chaque journée de la semaine, j’occupe un travail alimentaire dans une librairie. Mais quand je termine mes journées de travail, c’est là que commence le temps que j’investis dans mon nouvel emploi.
C’est un emploi très avantageux que je peux faire à chaque moment de mon existence, même pendant ceux que me pompe mon travail alimentaire. Je n’ai donc pas de carte de punch à noircir de mes heures de départ et d’arrivée, ni personne prêt à m’arracher la tête si je le fais une minute en retard. Je n’ai pas non plus d’uniforme à porter, pouvant faire ce travail habillé de ce que je veux, que ce soit en t-shirt, en soutane, en tutu ou même tout nu. Je n’ai pas à braver des conditions météorologiques pas toujours clémentes pour me présenter à un lieu de travail où je dois produire, pouvant le faire où bon me semble, que ce soit dans le confort de mon foyer, ou encore à Falardeau, Paris, Grégoire Mills ou la planète Mars.
Pour mes brainstormings, je n’ai pas besoin de me présenter dans des réunions tenues dans un hôtel ou un resto haut de gamme avec des marketeux cravatés (zzzzz), je n’ai qu’à aller au gym et bouger un peu. Quarante-cinq minutes de course ou de vélo stationnaire ou de natation amènent suffisamment d’oxygène à mon cerveau pour lui permettre d’être créatif. Et quand ce n’est pas en faisant de l’activité physique, c’est simplement en lisant que je brainstorme. Je lis des histoires et je regarde au-delà de l’histoire elle-même comment elle est écrite et comment elle est racontée. Ces lectures font à mon cerveau un peu ce que fait l’engrais sur un sol que l’on cultive, un genre de petit plus que l’on donne à la terre pour l’aider à produire plus et à produire mieux.
J’ai lu récemment des livres de Félix Leclerc, j’en ai achetés d’autres. Ils ne coûtent pas cher et me rapportent tant. J’ai aussi lu Balzac, Kerouac, Rabelais. Je les lirai encore. J’ai même lu William Burroughs et son festin nu, dont je ne suis pas certain d’avoir aimé, même si je suis fier d’avoir lu sa prose anarcho-scientifique teintée d’un sarcasme cru dépourvu de fil conducteur constituant ce je-ne-sais-quoi qui en fait une oeuvre culte qui résiste aux époques.
Je suis en train de lire aussi un livre de l’écrivaine parisienne Muriel Barbéry, « L’Élégance du hérisson », un livre fort délicieux décoré à plusieurs occasions en France. J’avais acheté ce livre en juillet 2011, remettant sa lecture à chaque occasion à la semaine des quatre jeudis. Je l’avais même amené avec moi dans la cabine de l’avion qui m’a mené en France, espérant y commencer sa lecture. Or, je n’en n’ai pas lu une seule page, ayant plutôt consacré mon temps à la lecture du livre de Jean-Michel Claveau, un gars de mon village, un roman noir qui se lit tout seul, intitulé « Les dessous de la famille Houde ». J’ai bien dû prendre une ou deux heures à lire ce petit livre d’une traite, pendant que le Boeing 747 dans lequel mon cul était solidement attaché filait vers l’aéroport d’Orly, au sud de la capitale française. Drôle pour un gars de Falardeau comme moi de lire le livre d’un autre gars de Falardeau alors que je m’en vais loin de mon village natal et que je devrais plutôt de m’imprégner de la littérature de la ville que j’allais visiter. (Une visite au Musée des Lettres et des Manuscrits s’est chargée de me ramener dans le droit chemin.)
Ce job d’écrivain, je le faisais déjà comme un passe-temps depuis toujours. Je me souviens de tout ce que j’ai pu inventer avec la vieille dactylo que ma mère a fini par mettre dans ma chambre quand j’étais enfant. Je me souviens qu’au cégep et à l’université mes cours préférés étaient la radio (mais surtout) le journal étudiant. Alors que je séchais un cours de socio au cégep de Chicoutimi, mon professeur de sociologie, Jean-Marie Tremblay, est venu me chercher en plein local du journal étudiant, me faisant me sentir plutôt mal, mais il avait raison d’avoir posé ce geste, cet increvable ratoureux qui a été le professeur qui m’a le plus marqué de mon passage au cégep.
Je me souviens aussi d’avoir été attristé quand on ne m’a pas pris pour faire le cours de français-journalisme en cinquième secondaire, contrairement à ce que j’avais souhaité prendre dans ma banque de cours optionnels, du temps où l’École Secondaire Charles-Gravel de Chicoutimi-Nord s’appelait « Polyvalente ». On m’a plutôt donné un cours de géographie qui m’a permis de renouer avec Berthe Hamel, une enseignante que j’avais adoré en deuxième secondaire, alors qu’elle m’enseignant l’anglais. Par contre, j’avais comme professeur de français le même enseignant qui s’occupait du cours de français-journalisme, le regretté Martin Tremblay, qui travaillait aussi à temps partiel au journal Le Quotidien de Chicoutimi. Sentant mon intérêt pour l’écriture et le journalisme, il m’avait invité à soumettre quelques textes pour le journal étudiant Le Gravillon. Presque vingt ans plus tard, c’est de cette façon que je devrai faire mon entrée dans le monde de l’écriture, de la rédaction et du journalisme. N’ayant pas complété mes études universitaires à ce jour, mais étant endetté comme si j’avais un doctorat suite à des erreurs de jeunesse qui font encore souffrir mon dossier de crédit, les belles jobs de journalistes ne s’ouvriront pas pour moi.
Je devrai donc trouver des sujets, les travailler et les vendre à des publications. Un beau défi que celui du journalisme à la pige. J’aurai certes encore besoin de mon travail alimentaire le temps de me lancer et après on verra. Je n’ai pas vécu riche de ça jusqu’à présent, mais si je ne m’essaie pas, je resterai pauvre. Après tout, ce n’est pas en restant salarié qu’on devient riche…
Pour améliorer mon sort, j’ai bien tenté des avenues, dont un retour à la radio. Entre février 2011 et juin 2012, c’est même venu proche à trois occasions d’arriver, sans même que ça ne se concrétise. J’en suis d’ailleurs fort heureux. Dans les deux premiers cas, mon poste aurait été coupé après six mois et tout aurait été à recommencer tandis que pour l’autre, on ne m’offrait que du temps partiel. Tout abandonner ici à Montréal pour ça aurait été trop risqué pour ce que ça aurait donné, même qu’à bien y penser je me serais vite emmerdé de mon retour derrière le micro. Il y a plein de jeunes animateurs passionnés qui sortent à chaque session des écoles de radio de la province, et je pense qu’ils méritent plus que moi d’être au micro d’une grosse station. Cela étant dit, je ne dirai jamais non à un retour à la radio, sauf que je sais que ça n’arrivera jamais. Ça fait plus de cinq ans que je n’ai pas fait de radio en étant payé pour en faire et l’industrie a changé, tout comme moi. Il m’arrive de faire de la radio dans mon sous-sol, mais cela n’est que dans le but de m’amuser, la radio n’étant désormais plus qu’un passe-temps, quand j’ai envie d’en faire.
J’ai essayé aussi d’être fonctionnaire fédéral, mais le processus pour y parvenir est tellement long et les emplois offerts me semblaient tellement ennuyeux même s’ils étaient bien payés. Pour m’être déjà payé une dépression en 2006, je n’ai pas envie de revivre ce calvaire, alors j’ai décidé d’arrêter toute démarche visant à m’exiler à Ottawa.
J’ai aussi essayé d’être conseiller financier. Une compagnie bien respectable pour qui travaille une grande amie de ma mère m’avait déjà fait de l’oeil dans une vie antérieure. J’étais allé dans leur édifice rencontrer un recruteur qui m’a joué du violon en m’expliquant comment je pourrais m’enrichir facilement en suivant leur formation. En entrant dans cette bâtisse grise où tout en dedans est tellement ordonné et aseptisé, j’ai senti que je pourrais certes devenir très riche, mais sans nécessairement être heureux de pratiquer un moyen me permettant de le devenir qui connecte avec ce que je suis. Le type m’a donné une documentation à lire et m’a donné deux semaines pour le lire et le contacter, ce que je n’ai pas fait. Il m’a téléphoné et s’est vite rendu compte que je n’avais pas beaucoup d’intérêt pour ce genre de besogne. De toute façon, avec des finances aussi piètres que les miennes, je ne crois pas que je sois la personne idéale pour conseiller des gens sur ce qu’ils doivent faire avec leur argent…
Je pourrais me prendre un deuxième travail alimentaire, mais je crains que cela ne me pompe encore plus l’inspiration et tout ce qu’il me faut pour être à la hauteur. Après tout, je mérite mieux que de demander à des gens s’ils veulent une 6/49 ou s’ils ont la carte CAA et la leur offrir s’ils ne l’ont pas. Mon travail alimentaire n’est certes pas le plus payant, mais il a quand même des avantages, dont celui d’être en contact direct avec ce vers quoi je me dirige dans ma vie, les livres et les magazines. C’est donc par principe que je garde cet emploi et ne m’en prendrai pas d’autres excluant les contrats que je dénicherai, ayant déjà connu l’humiliation, en février 2002, de demander le bien-être social, chose que je ne souhaite à personne.
Donc, après avoir vécu quelques années grâce à ma voix – même sans faire de gros salaires -, c’est donc au tour de ma plume de prendre la relève. C’est un peu sans savoir vers quoi ça me mènera que je me lance là-dedans, mais je sais que si je ne le fais pas, je le regretterai. Après tout, c’est ce qu’on ne sait pas qui rend les choses intéressantes, car on veut finir un jour par le savoir. Et pour y parvenir, il faut d’abord commencer!