Ceci est un petit défi que je m’impose : celui de choisir un mois et une année de mon existence et de vous la raconter dans les détails qu’il me reste encore en mémoire.
Aucune idée pourquoi j’ai choisi le mois de mai 1985, mais j’ai le goût présentement de m’attaquer à ce mois rempli d’émotions de toutes sortes où j’ai déclenché une épidémie de varicelle en insistant pour me faire prendre en photo malgré les boutons, où j’ai pris une plonge à vélo qui aurait pu m’être fatale et où j’ai vécu deux activités d’école mémorable.
J’avais huit ans et j’étais en deuxième année. J’avais commencé l’année scolaire 1984-1985 dans la classe de Mado, une classe avec des élèves de 2ième et 3ième année du primaire. J’étais toujours dans les meilleurs en première année et on a pensé que ça serait une bonne idée, vu mon intelligence, de me placer dans cette classe à deux degrés. Ce fut cependant un fiasco, et c’est là qu’on s’est rendu compte que j’étais un hyperactif. On ne m’a pas boosté au ritalin, seulement changé de classe. Le 31 octobre 1984, jour d’Halloween, je prenais mes cliques et mes claques pour me retrouver dans une classe de 2ième année régulière, celle située dans la classe prise en sandwich entre celle de Mado et celle de maternelle, où la vénérable Constance continuait son œuvre d’enseignement, elle qui a fait l’école à plusieurs générations de jeunes falardiens. Elle est décédée il y a bientôt dix ans.
Ma nouvelle maîtresse d’école était Odette Staner, une enseignante que j’ai tout de suite aimé en raison de son humour noir et de sa répartie assez dévastatrice. C’était clair qu’avec elle, je ne m’ennuierais pas, d’autant plus qu’il y avait plusieurs de mes copains de l’année précédente que je retrouvais, dont ma voisine d’en face, Annie Morin. C’est ainsi qu’après un début d’année en dent de scie, je me suis remis à être l’élève performant que j’étais l’année précédente.
L’année a passé et une fois le printemps revenu et ses premières chaleurs, je voyais arriver avec joie ces premières prémisses d’un été qui s’annonçait chaud et qui l’a été. Mes Nordiques venaient d’éliminer le Canadien sur un but de Peter Stastny en prolongation du 7ième match et tous les espoirs étaient permis pour mes favoris, qui se sont cependant inclinés en six matches contre les Flyers de Philadelphie. Quant à mes Expos, ils avaient échangé le receveur vedette Gary Carter aux Mets de New York en décembre précédent. Gary était notre idole à la maison, mais malgré cet échange, notre amour des Expos et du baseball était intact. D’ailleurs, les Expos avaient connu un bon début de saison malgré un peu de neige lors du premier match de la saison, présenté à Cincinnati.
À l’époque, nous ne captions que deux postes et demi de télévision dans le fond de mon rang 2, à Saint-David-de-Falardeau. Nous captions sans problème CKRS, un poste indépendant de Jonquière affilié à Radio-Canada, de même que Télé-Québec – qui s’appelait Radio-Québec à l’époque – . Quant au demi-poste, il s’agissait de CJPM, branche saguenéenne de TVA. Comme ils diffusent du Mont Sainte-Claire à Chicoutimi et que mon rang 2 était à trop haute altitude pour le signal, la captation de celui-ci nécessitait de bonnes oreilles de lapin, qui ne suffisaient pas toujours à la tâche. Nous ne regardions donc pas souvent TVA, lassés de cette neige qui nous polluait la vision même en été.
Il n’y avait pas de chaîne d’information continue. En septembre précédent, le pape Jean-Paul II est venu faire une première visite en sol canadien et Radio-Canada n’en avait que pour cet événement qui donnait l’impression que plus rien d’autre au monde que ça ne comptait. Ça s’était répercuté à l’école, où on ne parlait pratiquement que de catéchèse, les maths, le français et tout le reste ne comptant plus pendant cette visite papale. Aujourd’hui, le pape viendrait et la vie n’arrêterait pas pour ça, pas la mienne en tout cas. Pour moi, le pape n’est qu’un vieux débris en soutane pour lequel je n’éprouve que du mépris autant que pour cette institution rétrograde et dépassée nommée église catholique qu’il représente. En revenant à la maison, j’aimais bien regarder mes Schtroumpfs, Bobino, Félix et Ciboulette, Pop Citrouille, Au jeu et cie, mais rien de tout ça ne passait pendant la visite du pape. J’avais hâte qu’il décrisse au Vatican une fois pour tout et quand ce fut chose faite, j’étais bien heureux de ravoir mes programmes. Cela me dérangeait moins quand j’arrivais à la maison et qu’un match de baseball en après-midi me privait de mes petits bonhommes. Je me souviens d’une fois où les Expos avaient marqué 12 points dans une manche contre les Cubs qui avaient remonté et qui étaient venus bien près de compléter la remontée, n’eut été de la présence de Jeff Reardon à la fin d’un match de fou typique du Wrigley Field de Chicago, où on ne jouait qu’en après-midi à l’époque. En mai 1985, je me souviens aussi d’une fois où les Expos avaient joué à San Francisco et le match avait été présenté à la télé, décrit par Raymond Lebrun et Claude Raymond, dont je ne me lassais jamais de regarder, même s’ils me privaient de mes émissions et des roulettes du Cinéma de 17 heures lors des tirages animés par Jean Ducharme.
Le rang 2 de mai 1985 était dans ses derniers milles en tant que route en gravier, où chaque voiture y circulant l’été soulevait un nuage de poussières prenant plusieurs longues minutes avant de se dissiper, l’asphalte y ayant été installée le mois suivant sur la partie du rang qui n’était pas encore asphaltée, ce qui changea pour de bon notre qualité de vie, devenue soudainement moins poussiéreuse. La chaleur de ce mois de mai laissait entrevoir un été chaud, et nos bicyclettes étaient déjà prêtes.
J’avais un petit vélo rouge dont le seul moyen de freinage était un coup de pédale vers l’arrière. Le derrière de ma maison était fait de remblai duquel émanait de grosses roches que la végétation n’avait pas encore recouverte et j’aimais bien faire mon casse-cou en prenant mon vélo et me laissant aller en vitesse, me faufilant vite entre les roches et évitant une petite coulée à côté de la fosse septique. Une fois cependant, les choses ont failli tourner au drame. En pleine descente, j’ai voulu freiner et la chaîne de mon vélo a débarqué en même temps, m’empêchant de freiner et me faisant perdre le contrôle de ma bécane qui se dirigeait directement vers la coulée. Mon vélo a pilé sur une roche qui lui a donné un élan similaire à celle d’un saut à ski acrobatique et, bien malgré moi, j’ai fait l’expérience d’un bref vol plané, ayant laissé le guidon et ayant vu ma bécane aller s’écraser pendant que j’étais dans les airs, effrayé de voir le sol s’approcher aussi vite. Je suis tombé sur des hautes herbes qui ont amorti le choc, même si mon pauvre bras droit a encaissé le coup, sans toutefois avoir été fracturé. Malgré ça et quelques égratignures et ecchymoses, je me suis néanmoins bien sorti de cette mésaventure dont personne d’autre que mon chien n’a été témoin, ce pauvre animal qui allait finir sous les roues d’un véhicule quelques semaines après avant d’être remplacé par Choupette, une femelle épagneul que nous avons eu jusqu’en 1992.
Pas longtemps après cette mésaventure, j’ai remarqué un bouton rouge apparaître proche de mon nombril. Le lendemain matin, il y en avait plusieurs dans cette région. Plus tard dans la journée, c’est sur mon bras droit que j’en ai vu un apparaître. Pareille situation inquiétait l’enfant de huit ans que j’étais. Ma mère, sourire en coin, voulant me rassurer, me disait que c’était la picotte qui commençait. Elle ne pouvait pas commencer au pire moment, puisque le mercredi de cette semaine-là était le jour de la prise de photo de classe. Avant de partir à l’école ce matin-là, j’avais demandé à ma mère d’essayer de maquiller les boutons sur mon visage, ce qu’elle a essayé en vain, le mal ayant trop progressé. J’étais habillé d’un pantalon noir, d’une chemise blanche et d’un nœud papillon à la Pierre Marcotte. Malgré les boutons, j’affichais mon plus beau sourire dans les circonstances. Derrière le sourire, le mal augmentait autant que les démangeaisons, si bien que je suis resté à la maison cet après-midi-là, tout comme le jour suivant et l’autre jour d’après et les deux premiers jours de la semaine suivante. À mon retour, il manquait environ le tiers de mes collègues de classe, tous malades par ma faute. Mon frère était malade, les enfants Morin de l’autre côté de la rue aussi. Moi qui était un enfant sage, voilà que j’ai provoqué une épidémie de varicelle, ne me souvenant pas de qui j’aurais bien pu la pogner. Mais au moins, c’était derrière!!
Mes collègues de classe malades par ma faute étaient presque tous revenus le jour où notre classe est partie pour une journée d’activités. Au menu pour le matin, une visite au Village de la sécurité routière de Chicoutimi-Nord, suivie en après-midi par une visite du restaurant McDonalds de Chicoutimi. Sans trop me souvenir en détails de cette visite à ce village spécial, je peux dire qu’il a fait très beau, que c’était agréable de piloter les petites voiturettes ainsi que de grimper la petite tour qui donne une vue incomparable sur Chicoutimi.
Quant à la visite du McDonald’s, elle a de quoi surprendre! En 1979, la chaîne a ouvert son premier restaurant au Saguenay, au coin des boulevards Talbot et de l’Université, l’intersection la plus névralgique de Chicoutimi. Pour bien des gens, cette arrivée était un signe qu’enfin la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean était devenue « big » et représentait une certaine fierté, si bien que chaque enfant de passage proche de ce restaurant implorait ses parents de faire un arrêt au gros M jaune, et beaucoup de parents désireux d’acheter la paix à coups de Big Mac y faisaient un arrêt. Même si en 2013, il n’y a rien de plus banal que d’aller y manger, cette activité avait un petit quelque chose d’unique pour les habitants de région éloignée que nous étions à cette époque, et c’est pourquoi des visites scolaires de ce restaurant – toujours ouvert aujourd’hui – étaient organisés.
Nous avons visité les coulisses du restaurant, des cuisines aux salles d’employé, de la salle de jeu à la salle de réception. Des choses qui, quand on y pense, étaient insignifiantes et sans intérêt, mais qui nous émerveillaient quand même juste parce que c’était chez McDonald’s. Voilà les effets du marketing sur les pauvres enfants que nous étions, car des études ont prouvé par la suite que de la nourriture avait l’air plus appétissante quand on y plaçait les célèbres arches jaunes à proximité. Marketing, quand tu nous tient…
Le mois s’est achevé par un vendredi de jeux de toutes sortes au domicile de mon enseignante. Elle, son mari et sa famille nous ont accueillis sur leur propriété située pas loin de chez moi, dans le rang 2. Nous nous sommes baignés dans le ruisseau, avons joué au criquet et mangé de la soupe conçue par son charcutier de mari, d’origine belge, dont les saucisses étaient avantageusement réputées dans mon village et ailleurs, lui qui avait sa charcuterie sur le boulevard Martel, proche de l’ancien dépanneur Danjo, là où passe la ligne de haute tension d’Hydro-Québec. Il a déménagé par la suite son commerce en plein centre-ville de Chicoutimi. Maintenant à la retraite, lui et son épouse demeurent toujours au même endroit, qui me rappelle encore cette journée quand je passe dans le coin, même presque trente ans après.
Voilà ce qui complète cette tranche de vie, en espérant que ce voyage dans le temps vous a plu. Il est presque 1h30 du matin et je suis dans un café de Côte-des-Neiges à Montréal, à pianoter ce texte sur un portable dont la lenteur rendrait jaloux n’importe quel fonctionnaire gouvernemental. L’air est doux en ce dernier jour d’été. Tâchons de rendre cette fin septembre 2013 aussi mémorable que ce mois de mai 1985. S’en souvenir motive sans doute!