En 1986, j’étais un enfant de neuf ans, toujours la tête dans les nuages, même à l’école, où j’étais le meilleur de la classe, à un point où chez les scouts, on me surnommait « Jean la lune ». J’avais une bonne raison d’avoir toujours la tête dans les nuages, car je savais que de la visite rare allait passer dans le voisinage de ma planète, entretenant même l’espoir d’observer à l’oeil nu ce voyageur de longue haleine qui ne nous rend visite qu’une fois par 76 ans.
Je ne cessais d’en parler, tellement que mes parents m’ont donné un petit télescope comme cadeau de Noël et que d’autres m’ont payé des livres d’astronomie, que je trimbalais à l’école, les ouvrant à une page et les laissant sur le bord du tableau. Le soir venu, j’aimais bien regarder le firmament. Demeurant dans le fond d’un rang loin de toute lumière urbaine, je me sentais choyé de vivre dans un environnement aussi favorable à l’observation des planètes, des étoiles et même des aurores boréales. En attendant de pouvoir observer ce visiteur, je regardais ces livres qu’on m’avait donné en cadeau où je pouvais contempler des images de voyageurs similaires qui ont pu être observés avec émerveillement à l’oeil nu par des dizaines de millions de personnes de par le monde. Ils s’appelaient Kohoutek, Humason, Encke, Ikeya-Seki, West. Des boules de neige sale voyageant en solitaire dans l’espace qui, s’approchant de notre Soleil, commencent à se sublimer sous l’effet de la chaleur alors que la lumière de l’astre du jour combinée aux vents solaires permet à la traînée de s’illuminer et de former une queue qui peut s’étirer jusqu’à très loin à partir de cette boule de neige sale dont le véritable nom est « comète ».
La fameuse comète de Halley venait nous visiter après un périple de 76 ans pendant lequel elle est allée jusqu’à Neptune avant de revenir vers le Soleil avant d’entreprendre une autre boucle qui ne nous permettra pas de la revoir avant l’été 2061. J’espérais pouvoir contempler cette comète découverte par l’astronome britannique Edmund Halley au dix-huitième siècle alors qu’elle atteignait son périhélie – le point le plus proche du Soleil qu’une comète atteint avant de commencer à s’en éloigner – mais malheureusement il m’aurait fallu être dans l’hémisphère Sud, seule partie de la planète où il a été possible de la regarder à l’oeil nu, chose qu’il n’a pas été possible de faire sur la partie de la planète où je demeurais. J’étais bien déçu de devoir attendre qu’une autre comète puisse me permettre ce plaisir, ce qui prit une dizaine d’années. En février 1996, j’ai finalement pu observer la comète de Hyakutake, découverte l’année précédente par l’astronome amateur japonais Yuji Hyakutake. J’ai pu le faire au même endroit où j’espérais voir dix ans plus tôt la comète de Halley, profitant de la noirceur de la nuit falardienne, exempte de toute pollution nocturne, pour observer cette comète jusqu’à ce qu’elle s’en retourne aux confins de l’Univers. Son prochain passage n’aura lieu que dans quelques dizaines de milliers d’années.
L’année suivante, une autre comète qui me fit revivre cette expérience. Plus grosse et plus brillante, la comète de Hale-Bopp – découverte simultanément en juillet 1995 par Alan Hale et Thomas Bopp, deux astronomes amateurs américains – m’impressionna longuement. Elle était si brillante qu’il était même possible de l’observer en plein centre-ville de Chicoutimi malgré les entraves de la pollution lumineuse.
Ce fut l’une des comètes qui fut le plus longtemps observables à l’oeil nu, ayant pu être observée dans l’hémisphère Sud jusqu’en décembre 1997. On ne la reverra pas avant l’an 4385.
Depuis, nous n’avons pas eu la chance d’observer de comète à l’oeil nu, mais 2013 promet d’être active à ce niveau puisque deux comètes s’annoncent au cours des prochains mois. En guise d’amuse-gueule, la comète Panstarrs, baptisée en l’honneur d’un réseau d’observatoires et de télescopes situés à Hawaïï dont les astronomes qui en sont responsables ont découvert cette comète en juin 2011. Il était plus simple de nommer la comète du nom du réseau de télescopes plutôt que du nom de ceux qui les ont manipulés, ce qui aurait donné un nom beaucoup trop long.
Le 5 mars prochain, cette comète sera à son point le plus proche de la Terre et sera à son périhélie cinq jours plus tard avant de commencer son retour vers là d’où elle provient. Il faudra attendre 110 000 ans avant de la revoir passer proche de notre planète. Je ne sais pas si ce sera possible de l’observer de chez nous, mais une chose demeure certaine : cette comète n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend à la fin du mois de novembre, alors que la comète ISON fera son apparition dans notre ciel.
ISON signifie « International Scientific Optical Network », un réseau d’observatoires situés dans une dizaine de pays qui surveillent les différents objets circulant dans l’espace. La découverte de cette comète a été faite le 21 septembre dernier par Vitali Nevski et Artyom Novichonok, deux astronomes russes oeuvrant pour ce réseau. Elle promet d’être la comète la plus brillante observée depuis une cinquantaine d’années. Il sera possible de la voir avec un télescope ou des jumelles dès le mois d’août et devrait être visible à l’oeil nu dès la fin du mois d’octobre et ce jusqu’en janvier prochain. Elle pourrait même être plus brillante que la pleine lune, avec en prime une longue queue qui rendra son observation tout aussi spectaculaire que mémorable. De plus, à la mi-janvier de l’an prochain, la Terre va croiser l’orbite de la comète, ce qui résultera probablement en une chute de météorites qui s’avérera un bonus pour chaque astronome amateur qui s’y intéressera.
En 2013, je risque donc de redevenir cet enfant rêveur, lunatique, qui rêvait à cette comète de Halley mais qui cette fois-ci aura la chance d’en voir deux dans la même année si tout se déroule bien. Quant à cette comète de Halley, j’espère que la vie me permettra de l’observer en 2061 comme j’aurais voulu la voir en 1986. J’aurai 84 ans, presque 85 lors de son prochain périhélie. Rendez-vous donc à ce moment-là!! En attendant, Pannstars et ISON nous en mettront plein la vue, et mieux on sera loin de toute source de pollution lumineuse, meilleure sera l’observation, que des jumelles et un télescope peuvent rendre encore davantage intéressante. En terminant, sachez qu’il n’y a aucun danger à regarder une comète à l’oeil nu, contrairement à une éclipse solaire. Il y en aura une qui sera d’ailleurs visible au Québec le 3 novembre prochain, où le soleil pourrait se lever en forme de croissant. Préparez-vous une boîte de souliers en la trouant et placez-vous dos au soleil pour observer le phénomène en toute sécurité. Il ne faut jamais regarder le soleil lors d’une éclipse car les rayons du soleil endommagent les yeux. Outre cette éclipse partielle du soleil, nous aurons deux éclipses partielles de la lune les 25 mai et 18 octobre. Le cône d’ombre de la Terre ira gruger une partie de la Lune, qui apparaîtra en partie rouge. Tout comme les comètes, il n’y a aucun danger à regarder une éclipse lunaire à l’oeil nu. Finalement, 2013 sera une année de rêve pour les amateurs d’astronomie et Jean la lune n’en sera que plus heureux!