Jeudi de la semaine dernière, je suis allé voir l’un des personnages parmi les plus uniques de mon Saint-David-de-Falardeau, le seul et unique Jhippie. De son véritable nom Jean-Pierre Tremblay, il a un gymnase privé assez complet qu’il a assemblé avec toutes sortes d’équipements acquis soit à prix de débarras, soit à partir de ce que d’autres ont voulu jeter. Entraîneur sportif de formation, il est aussi un chanteur qui compose lui-même son propre matériel et qui essaie tant bien que mal de faire connaître sa musique, inspirée entre autres de 30 ans d’auto-stop sur les routes de la province. Il ne veut rien savoir de conduire une voiture, le pouce lui faisant vivre tant de choses qui finissent par alimenter son imaginaire. En plus d’être tout ça, il est aussi mon cousin et je tente de l’aider du mieux que je peux pour le faire connaître, étant un peu son « gérant ». Juste pour lui faire un peu de pub, vous pouvez aller sur sa page Facebook en y tapant « Jhippie » et vous pourrez entendre quelques unes de ses chansons. J’étais justement allé lui jaser un peu de sa carrière et aussi d’un paquet d’autres affaires mais ce que je veux vous raconter en lien avec cette rencontre, c’est plutôt quelque chose qui s’est passé une fois que je suis reparti chez moi, alors que j’ai remonté le rang 2 jusque chez mes parents dans la plus grande obscurité alors que le phare de mon vélo m’avait fait faux bond.
Pédaler dans le rang 2 alors que le soleil est couché est une expérience assez spéciale qui nous fait réaliser que dans le fond le phare ne sert à rien. J’ai souvent pédalé ce rang tard le soir et jamais je n’ai eu besoin de ce petit gadget que ma montréalisation lente et progressive a fini par me faire adopter avec le temps.
Sur les cinq kilomètres me séparant du gymnase de Jhippie de la résidence de mon enfance, on retrouve bien quelques lampadaires et quelques habitations, mais l’essentiel du trajet se déroule en forêt, parmi les mouches noires, moustiques, papillons et autres insectes qui nous sautent dessus et nous tournent autour dès qu’on se pointe le bout du nez à l’extérieur. Je n’ai jamais compté le nombre de fois que j’ai fait ce rang, que ce soit à vélo, à pied, en autobus scolaire ou en voiture, que ce soit comme conducteur ou passager. Je le connais par cœur, assez pour m’y aventurer même la nuit, même sans phare.
Connaître par cœur son rang est bien pratique quand le phare de notre vélo fait défaut, mais même quand on est dans un endroit où l’ombre des grands arbres se conjugue à celle de la nuit qui avance, on peut compter sur l’aide de la nature pour pallier à l’absence de son phare, alors que de milliers de petites lucioles se joignent à notre randonnée.
C’est quelque chose qui faisait tellement partie de mon quotidien saguenéen du temps où je demeurais dans mon patelin natal que le simple fait d’en être de nouveau mis en contact m’a permis de le redécouvrir un peu comme si c’était la première fois que je le voyais. Imaginez des milliers de petits points blancs qui s’allument et s’éteignent presque en même temps et qui forment une constellation continue de lumière qui se joint aux étoiles qui illuminent déjà le ciel, ce ciel qu’aucune lumière urbaine ne peut altérer et qui laisse toute la place à toute contribution lumineuse de tout astre qui passe à ce moment-là, que ce soit la lune, une étoile (filante ou non), une planète ou une étoile. Les aurores boréales peuvent y être vues dans toute leur splendeur et quand une comète passe, elle y est toujours à son meilleur. En 1996, la comète Hyakutake était magnifique. L’année suivante, ce fut au tout de la comète Hale-Bopp d’offrir pareil spectacle, phénomène que l’on n’a pas revu depuis mais qui se reproduira sans doute bientôt.
Il n’y a pas que l’astronomie et les lucioles qui illuminent la nuit falardienne. Il y a aussi les grenouilles, dont le coassement nocturne se fait entendre sur des kilomètres et rajoute un fond sonore digne d’une grande symphonie naturelle qu’un cri de loup et des jappements de chien peuvent assaisonner à tout moment. Il n’y a pas que mon phare qui n’a pas fonctionné, il y a aussi mon Ipod que j’ai volontairement fermé, question d’occuper toute mon attention par l’atmosphère à la fois sonore et visuelle que m’offrait mon rang 2 pendant cette courte randonnée nocturne d’une quinzaine de minutes.
Une fois arrivé à la maison, j’ai presque eu envie de m’allumer un feu dans la cour et d’écouter ce concert jumelé au crépitement de mon feu et de prolonger cette communion avec mon pays. Je ne l’ai pas fait. J’aurais dû. Ce sera pour une prochaine fois.
Que reste-t-il de tout ça une fois revenu dans la jungle montréalaise? La lumière urbaine illumine le ciel et fait ombrage aux étoiles qu’on aimerait pouvoir mieux observer. Les lucioles se font très discrètes, les autres insectes aussi. Les loups ne crient pas et les chiens sont en laisse dans leur niche cossue où leurs rares jappements y restent enfermés sans que ce qui est autour n’en soit dérangé.
Et je vis dans ce monde tellement devenu gros qu’il en est devenu dénaturé et aseptisé. Le défi que je m’impose dans ce bas monde est de ne pas le devenir à mon tour, de toujours rester ce que je suis et de garder la saveur qui s’y rattache.
Quand je faisais de la radio, on me disait que mon accent du Saguenay-Lac-Saint-Jean ne passerait pas et qu’il fallait que je l’extermine à grands coups d’exercice de diction. Avec le temps, j’ai une bien meilleure diction mais cette dernière n’est jamais venue à bout de ce que je suis et de mes origines, ayant volontairement gardé un peu de cet accent qui donne une saveur particulière à ma parlure, chose importante quand on refuse d’être un produit interchangeable par un autre produit identique et sans saveur.
Je me nomme Jean Tremblay, un nom qui à lui seul évoque le Saguenay-Lac-Saint-Jean et il me semble absurde de devoir renoncer totalement à cet accent que les gens aiment bien entendre à condition de savoir le doser. Je sais très bien m’exprimer dans un français plus que correct, mais je sais aussi comment ne pas m’exprimer comme un colon de Gigonville. Avec le temps, j’ai fini par me servir de cet accent comme une épice secrète qui me permet de m’élever au dessus de la masse afin de m’en distinguer.
À quoi bon renier ses origines et les particularités qui en découlent pour se fondre dans une masse anonyme quand on peut affirmer ce qu’on est en sachant bien jouer les atouts que ça implique pour devenir bien en vue, quelque chose que personne d’autre que soi-même peut devenir?
Moi qui est toute excitée quand je vois 2 mouches à feu à la fois! On se croirait assis sur le guidon! Et ton accent ne s’entend pas quand tu écris. ; )
De bien nombreuses heures de recherche inutile. J’aurais fatalement pu jouir vraiment plus de ma soirée si j’avais découvert Le Reflet Falardien (suite et fin) : La nuit dans le rang 2 Les écrits de Jean Tremblay plus tôt.