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Le Reflet Falardien : Salut Carl!!

Revoir mon rang 2 natal m’a permis de reconnecter avec ma région à un point tel que j’ai une envie folle d’y revenir dès que la chose sera possible. Mais en attendant, ce séjour dans mon St-David-de-Falardeau me replonge aussi dans des souvenirs d’enfance et d’adolescence. Près de chez moi se trouve la résidence de la famille Grenon, ceux qui sont les propriétaires d’une ferme forestière dont la renommée franchit les frontières et dont les bleuets frais se vendent jusqu’au Marché Jean-Talon à Montréal. Quand ils sont congelés, il paraît même qu’ils roulent aussi loin qu’au Japon, où semble-t-il que notre petit fruit bleu emblématique soit très populaire.

Si je vous parle des Grenon, ce n’est pas pour vous jaser de leurs arbres ou de leurs bleuets. Laissez-moi vous raconter ceci : j’ai animé à la station KYK-FM au Saguenay – maintenant Radio X – à deux occasions : de septembre 2003 à avril 2004 et de mai à août 2008 pour un remplacement estival. Lors de ces deux séjours comme animateur, il m’arrivait de recevoir un appel d’une bonne connaissance mordue de radio qui demeurait proche de chez moi : le seul et unique Carl Grenon, qui ne se gênait pas pour appeler ses animateurs de radio préférés. Il les aimait beaucoup, passionnément, à la folie et même à l’excès, ce que certains animateurs finissaient par trouver tannant même s’ils finissaient toujours par lui pardonner ce petit défaut.

Contrairement aux autres animateurs de radio et journalistes, j’ai eu la chance de bien connaître Carl. Il demeurait juste en avant de chez moi, dans le rang 2 à Falardeau. Dernier d’une famille de douze enfants, Carl était handicapé, tout comme trois de ses frères en raison d’une maladie génétique. Carl s’est toujours déplacé en chaise roulante. Malgré sa condition, il tentait de repousser ses limites, du mieux qu’il le pouvait, comme s’il refusait l’étiquette d’handicapé que le destin lui avait collé.

Tant qu’à rêver à une vie normale, Carl aurait voulu la vivre en pratiquant un métier comme tout le monde. Le métier que Carl avait choisi était celui d’animateur radiophonique. Il écoutait beaucoup la radio et adorait la musique. Il aurait tellement aimé pratiquer ce métier qu’il a tissé avec les années nombre de liens avec plusieurs animateurs radiophoniques et journalistes à la radio et à la télé du Saguenay-Lac-St-Jean. Quand il me parlait des rencontres qu’il avait faites avec tel ou tel animateur, ses yeux s’illuminaient et son sourire devenait radieux comme jamais.

Mais derrière cette joie passagère et ce côté bon enfant qui faisait de Carl un être attachant, j’ai pu ressentir et comprendre sa frustration de ne pas être né avec un corps normal. Il sommeillait en lui une colère qu’il ne sachait plus trop vers qui acheminer. Il savaient bien que ses parents, ses frères et ses sœurs n’avaient rien à se reprocher, sachant que sa condition n’était due qu’à un malheureux concours de circonstances contre lesquelles personne ne pouvait rien y faire. Tout au long de sa vie, il a été soutenu avec amour par sa famille qui s’était donnée comme mission de faire en sorte que Carl et ses trois autres frères handicapés comme lui vivent la meilleure vie possible. Carl était à la fois le plus jeune de ces trois frères et de toute la famille Grenon.

J’ai commencé à garder Carl en 1999. Sachant que j’avais de l’intérêt pour le métier d’animateur radiophonique et que j’aimais la même musique que lui, Carl s’est vite attaché à moi. Souvent, je lui faisais des compilations de musique des années 1970 et 1980 que je gravais sur disque pour ensuite lui donner. Il fallait voir s’illuminer ses yeux lorsqu’il entendait les premières mesures de chaque chanson qu’il entendait.

En août 2008, j’ai vécu mon plus beau moment en sa compagnie quand je lui ai fait visiter les nouveaux studios de KYK à Chicoutimi. Il est arrivé en transport adapté un dimanche matin pluvieux, et après lui avoir fait faire le tour des installations, je l’ai invité dans le studio pendant mon émission, que j’étais sur le point de terminer. Je lui ai envoyé un salut en ondes, et lui était là juste à côté de moi, le visage rayonnant de joie. Avant de partir, je lui ai donné un t-shirt de la station, qu’il a porté dès ce jour avec beaucoup de fierté.

J’étais en train de compléter un certificat en journalisme à l’Université de Montréal à ce moment-ci, et j’effectuais ce contrat de remplacement entre deux sessions à temps plein. Il m’a fallu retourner à Montréal pour y entreprendre ma dernière session à temps plein et c’est avant de quitter la région que j’ai vu Carl pour ce qui allait être la dernière fois. La rencontre a eu lieu le 2 septembre 2008 dans la résidence où il demeurait depuis déjà quelques années, sur la rue Sainte-Ursule à Jonquière. Carl y était traité comme un roi, tout comme les autres personnes handicapées qui y demeurent. Il me racontait qu’il était très heureux de vivre à cet endroit. Sa santé était superbe, même que j’avais remarqué qu’il avait perdu du poids avec les années. Il était d’une sérénité incroyable, ce qui surprenait même celle qui veillait sur lui, une certaine Josée Perron qui fait ce travail avec passion, amour et dévouement.
En juillet 2006, Carl a eu la douleur de perdre en l’espace de quelques jours deux de ses frères. L’applomb avec lequel Carl a traversé cette épreuve avait grandement impressionné Josée, qui m’a avoué que jamais elle n’aurait pu faire face à un tel désastre avec autant de calme. Même s’il vivait dans un corps qu’il aurait aimé normal, Carl trouvait le moyen de bien vivre sa vie et d’en apprécier chaque moment. Il ne laissait jamais son handicap entraver son bonheur. Son positivisme avait de quoi nous désarmer. Le voir accepter malgré tout de vivre dans ces conditions difficiles et de trouver le moyen d’être heureux avait de quoi nous mystifier. Avec un pareil positivisme, je crois qu’on pourrait facilement briser les chaînes les plus tenaces et transporter des montagnes. Malgré tout, il semait l’espoir et l’amour et refusait sa condition l’en empêcher. Il le faisait tout le temps et même quand c’était plus difficile il trouvait toujours un moyen pour y parvenir. C’était peut-être ça, la mission qu’il devait accomplir sur cette terre et la vie un jour allait lui rendre tous ces efforts pour démontrer que rien ne doit venir à bout de l’amour et de l’espace.

Le soir du 15 avril 2009, Carl s’est couché comme il le faisait à chaque soir. Dès son réveil, il a senti quelque chose d’anormal : le décor avait changé, ses bras et ses jambes fonctionnaient. Inquiet, il se demanda où était rendue sa chaise roulante. Mais il n’est pas resté inquiet longtemps, car le mouvement de ses membres lui confirma qu’il n’en aurait plus besoin de toute façon. Il était désormais libre de tout ce qui l’handicapait depuis sa naissance et comme un ange gardien, il veille depuis sur chaque personne qui l’a aimé. Carl avait semé durant toute son existence et le destin s’était rendu compte qu’il avait accompli avec succès sa mission et a décidé d’accorder à Carl cette liberté qu’il avait toujours espéré de son vivant.
Trois ans plus tard, il manque toujours autant à ses proches. Leur téléphone sonne peut-être moins souvent qu’avant, mais le souvenir de Carl demeure intact auprès de ceux qui l’ont connu.

De cette expérience, je n’ai qu’un seul regret : celui de ne pas lui avoir témoigné de son vivant de toute la reconnaissance de ce que cette expérience unique de l’avoir côtoyé a pu m’amener. Ce fut l’une des expériences parmi les plus enrichissantes que j’ai vécues et je me sens honoré d’avoir pu la vivre.

Si Carl avait été normal, avec tout son bagout et son audace, je suis convaincu qu’il aurait eu toute une carrière d’animateur radiophonique. S’il avait appelé des patrons de stations de radio avec le même acharnement qu’il appelait ses animateurs préférés,je suis certain que ça n’aurait pas pris beaucoup de temps avant qu’il ne parvienne à se faire un nom dans ce milieu.

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